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La guerre du Golfe n'aura pas lieu...

Longtemps, la guerre du Golfe fut considérée comme un modèle du genre. L'anti-Vietnam : 72 heures de combat, des frappes « propres », peu de victimes civiles. En 2000, le très gonflé « Les rois du désert », avec George Clooney, avait jeté un premier froid. « Jarhead », de Sam Mendes, qui adapte le récit d'un ex-marine du Golfe, Anthony Swofford, finit de noircir le tableau. Initié en 2004, en pleine guerre d'Irak, le projet n'avait, euphémisme, guère soulevé l'enthousiasme. Pas même celui de son producteur, Universal, qui possédait les droits du livre. « Persuadés que personne n'irait voir un tel film, ils voulaient le faire avec un minimum d'argent », avoue Mendes. Conséquences, un casting sans stars : Jake Gyllenhaal, Jamie Foxx (pas encore oscarisé pour « Ray ») et des désaccords sur le contenu du film : « Universal voulait éviter la critique de la politique étrangère américaine. » Mais peut-on dire non à Mendes, le réalisateur d'« American Beauty » et des « Sentiers de la perdition » ? Redoutable money maker, mais Anglais pur sucre, Mendes a pu à l'évidence imposer ce qu'il appelle son « point de vue d'étranger ». Car « Jarhead », c'est le film de guerre revisité par Beckett. Ou mieux encore, « Le désert des Tartares » transposé au Koweït. Mélange explosif !

A première vue, pourtant, on nage en plein classicisme. Voici Swofford, aspirant marine. Son père a fait le Vietnam, son grand-père le D-day, il fera le Golfe. Sergent recruteur sadique, bizutage en règle, déshumanisation expresse, Swoff apprend vite à devenir un salopard du désert. Il s'hydrate, se déshydrate, se réhydrate, se fait laver le cerveau, pense à sa copine, se branle, main droite, main gauche, insulte « Sodome Hussarde », jusque-là, tout va bien. Mais, au fait, où sont les Irakiens ? Swoff s'était fait une joie de casser de l'Irakien, il s'était préparé comme un athlète, mais, invisible, l'ennemi se dérobe. A défaut, Swoff organise des combats de scorpions, balance des grenades dans le sable, joue au football en tenue de protection chimique, avale de drôles de pilules, bouffe le pétrole des puits en feu et pète les plombs. La guerre, cet obscur objet du désir, lui a posé un lapin, elle se joue sans soldats. Tout ce que Swoff verra d'elle, c'est cinq Bédouins, huit chameaux et « Apocalypse Now » projeté pour tromper l'ennui. « "Jarhead" » parle de l'écart entre le fantasme et la réalité. Cet écart qu'il y a justement dans un film. Notre mémoire du Vietnam, ce n'est pas le Vietnam, mais celui de Coppola, de Kubrick.» Déception. Frustration. Absurdité. Notre héros ne perd plus la vie - la guerre n'en veut plus - mais perd tout de même des plumes. Le sacrifice n'en est que plus pénible : corps intact mais âme détruite.

Stendhal, avec Fabrice et Waterloo, avait déjà compris toute l'ironie à parler de la guerre sans faire tirer un seul coup de fusil au « héros ». Buzzati, dans « Le désert des Tartares », a enfoncé le clou. Mendes donne le coup de grâce avec son Rambo cruellement privé de combat. « "Jarhead" est aussi une métaphore pour la relation de l'Amérique avec le monde. On croit que l'ennemi est là, mais il n'y a plus d'ennemi à abattre. » Peut-on imaginer plus cinglant ? F.-G. L.